Lors d’un lunch d’équipe, vendredi, pour souligner l’anniversaire de deux collègues, j’ai secrètement levé mon verre à une autre occasion : mes six premiers mois dans un cabinet d’avocats. Ma période de probation terminée, je suis en mesure d’affirmer que ce qui me frappe le plus, ce sont les nombreuses opportunités qu’offre le milieu juridique, en partie à cause des multiples changements avec lesquels il doit conjuguer.

Réalités du milieu juridique

Je suis arrivé au cabinet en novembre dernier, après que certaines personnes de mon entourage se soient montrées surprises – et sceptiques – de ma transition des affaires internationales vers les affaires juridiques. On me disait ce milieu conservateur, les avocats difficiles à satisfaire, les frustrations nombreuses pour le personnel administratif, qu’un des mes défis serait de gagner la confiance des associés du bureau, mais que – concurrence oblige -, je travaillerais inévitablement avec les meilleurs. Sur ce dernier point, je n’ai pas été déçu jusqu’à maintenant.

En effet, l’un des grands avantages d’être un law marketer, c’est qu’il n’y a pas vraiment de question à se poser sur la qualité du produit. Les avocats engagés par la firme sont triés sur le volet et la pression du milieu est grande – tant à l’interne qu’à l’externe – pour que les honoraires versés par les clients soient utilisés à bon escient. Ma courte expérience m’a toutefois montré qu’il existe une certaine différence entre le law of business et le business of law

Si, comme le disait un fameux théoricien militaire, la tactique prend le relais de la stratégie quand l’ennemi est en vue, on peut dire que les grands cabinets sont des tacticiens hors-pairs – c’est-à-dire qu’ils excellent à servir les besoins juridiques de leurs clients -, mais que leur propre vision stratégique – leur positionnement par rapport aux autres cabinets et plus largement par rapport à l’ensemble des firmes de service (relations publiques, comptables, consultants, etc.) – est le lot d’une minorité.

Comment définir la stratégie? Par la connaissance et l’analyse minimale des trois grands C d’un milieu d’affaires : les coûts, les clients, et la concurrence.

Les meilleurs firmes comprennent et maîtrisent ces trois C, et leurs compétences dépassent largement les seules aptitudes juridiques pour inclure des qualités relationnelles et un véritable sens de la business. Mais comment se démarquer véritablement? Comment faire valoir sa spécificité autrement qu’en s’affirmant plus meilleur que la concurrence? Comment positionner ses services non seulement en fonction de l’expérience acquise et de l’expertise reconnue, mais bel et bien en fonction des attentes et des besoins du client?

Crise d’adolescence

De façon assez inusitée, les cabinets d’avocats sont aux prises avec l’un des mêmes défis que l’Union européenne (UE) et l’OTAN, deux des organisations internationales les plus influentes que j’ai eu l’occasion d’étudier dans le cadre de mes anciennes fonctions. Je m’étais effectivement penché sur la politique étrangère de l’UE et les concepts stratégiques de l’OTAN, pour en venir à la conclusion qu’il est très difficile pour ces deux organisations de mettre en œuvre leurs politiques internationales sans avoir au préalable réglé leurs questionnements identitaires fondamentaux, notamment ceux résultant de l’élargissement de leur membership depuis la fin de la Guerre froide.

Les grands cabinets, de façon similaire, vivent leurs propres questionnements identitaires. La plupart ont vécu une ou plusieurs fusions depuis une dizaine d’années, ce qui fait que de plus en plus d’avocats, dans de plus en plus de bureaux, dans de plus en plus de pays, sur de plus en plus de continents doivent cohabiter à l’intérieur d’une même structure coordonnée : la Firme. Le principal problème avec la coordination – pour avoir étudié la question dans le monde assez complexe des opérations humanitaires -, c’est que tout le monde en souhaite davantage, mais que personne ne désire véritablement être coordonné…

Pourquoi une crise d’adolescence? Parce que les firmes sont un peu comme les jeunes de 16-17 ans qui, pour affirmer leur unicité – de façon paradoxale -, s’habillent de la même façon. Tous affirment accorder beaucoup d’importance aux besoins du client, avoir dans leurs rangs les experts les plus chevronnés, être reconnus par les publications les plus prestigieuses, et avoir effectué des mandats pour les entreprises les plus convoitées.

Comment se distinguer dans de telles conditions?

En définissant plus précisément son identité organisationnelle.

Une affaire pas du tout évidente quand à l’intérieur d’un même bureau les cultures de plusieurs sections doivent cohabiter et collaborer : corporate, immobilier, propriété intellectuelle, travail, énergie, environnement, fiscalité, bancaire, etc. Multiplions cette difficulté par le nombre de bureaux canadiens que comporte une firme, en s’assurant d’additionner les chocs culturels qu’occasionnent immanquablement les fusions outre-mer, et nous obtenons le coefficient de difficulté moyen des grands cabinets d’avocats internationaux. Bref, beaucoup de pain sur la planche…

Nostradamus

Pour la suite des choses, je m’avance à prédire trois des principaux défis qu’auront à relever les grands cabinets d’avocats internationaux au cours de dix prochaines années :

  1. l’intégration efficace d’une structure organisationnelle de plus en plus complexe, reposant sur de solides assises identitaires;
  2. l’incorporation harmonieuse de cerveaux étrangers et de professionnels/gestionnaires non-avocats à l’intérieur de cette structure intégrée;
  3. la croissante multidisciplinarité d’associés amenés à agir non plus seulement comme des conseillers juridiques, mais comme les membres complémentaires d’une redoutable équipe de conseillers d’affaires.

Plusieurs questions auxquelles je tenterai d’apporter quelques pistes de réponses au cours des prochaines chroniques, et que je vous invite à alimenter de vos commentaires.